mardi

Littérature algérienne, la problématique du nombre
Une anthologie est-elle nécessaire ?
Une question qui paraît déplacée vu l’évidence et l’ampleur d’une telle pratique. Pourtant, les choses ne sont pas aussi simple que ça. Une anthologie est toujours une entreprise lourde de conséquences.
Un travail qui, de prime abord, manque de créativité. Certains iront jusqu’à dire que c’est là une perte de temps pure et simple dans la mesure où une anthologie s’appuie essentiellement sur un produit déjà réalisé et achevé. Ce qui restreindrait, voire même nierait l’utilité de toute anthologie. Pour être une compilation de pièces littéraires disparates et hétérogènes, une anthologie est une élaboration dépourvue d’unité interne et, de ce fait, elle peut paraître dénuée d’intérêt et même être perçue comme une entreprise inutile. En plus de toutes ces tares, dans une anthologie, on ne peut éviter l’impression de déjà vu qui retire au lecteur le plaisir de la découverte et prive l’ouvrage d’une substance véritablement créatrice. De telles assertions sont vraies dans le cas précis où le lecteur n’a que l’embarras du choix en matière de littérature et lorsque le marché du livre lui propose une palette de littératures nationale et étrangère qui le dispensent d’avoir à recourir aux anthologies en tant qu’ouvrages instructifs. En revanche, si le choix n’existe pas, et en l’absence d’un foisonnement littéraire véritable, le problème se pose différemment. En Algérie, les initiatives réalisées dans cette direction n’ont, jusqu’à ce jour, abouti à aucune production un tant soit peu satisfaisante. Les quelques tentatives entreprises jusqu’à ce jour n’ont pas donné le résultat escompté. La littérature arabophone reste l’enfant pauvre de la littérature algérienne et, mal connue, elle n’est pas non plus appréciée à sa juste valeur. Une anthologie de cette littérature s’impose en Algérie comme un besoin. Un besoin qui prend un caractère d’urgence dans un pays où aucun vrai débat culturel n’a été engagé, brisé par un simplisme politique réducteur. Ce qui ne fait qu’accroître la responsabilité engagée dans une entreprise où il faudra éviter de se laisser prendre à un système de réduction dont les précédentes anthologies font état de façon flagrante. Cependant, le caractère subjectif du choix des textes demeure, sans pour autant être déterminant. Une anthologie doit d’abord être représentative des différents courants littéraires et des différentes pratiques esthétiques en vigueur dans un pays donné et dans des situations historiques précises. Certes, ces idées, dans leur application, relèvent de l’utopie puisqu’une anthologie est tributaire de ce lien presque maladif qui la rattache au moi de celui qui la réalise. Cependant, des moyens existent pour atténuer cette partialité du choix, comme, par exemple, le travail en équipe qui peut contribuer au rééquilibrage des préférences littéraires d’un moi qui cherche parfois à faire valoir son savoir-faire au détriment d’une matière qui correspond moins à ses goûts littéraires. Dans toute l’histoire littéraire du monde, aucune anthologie n’a jamais recueilli l’approbation de tous, mais pour autant, on ne cesse d’en produire. Ce qui veut dire que le besoin demeure. Dans le cas algérien, une anthologie plus ou moins complète n’est nullement un luxe, mais bien une nécessité absolue, puisque la traduction fait gravement défaut, alors même que son rôle est de représenter une littérature dans une autre langue. Et le besoin est d’autant plus sensible qu’il s’agit ici de la langue française qui compte parmi les langues de notre pays.
Difficultés linguistiques
Le travail anthologique accuse un retard qu’il est urgent de rattraper. Mis à part les efforts déployés par le professeur Christaine Achour sur de la littérature algérienne de langue française ou ceux de Mohammed Al Hadi Sanouci Azzahiri qui a publié en 1926-1927 à Tunis La première anthologie sur la poésie algérienne de langue arabe de l’époque, d’ailleurs non rééditée depuis, le champ littéraire n’offre rien en matière d’ouvrages anthologiques. Peut-être que les difficultés linguistiques et « le mal des langues » dont souffre l’Algérie n’encouragent pas ce genre d’entreprise, puisque le principal sentiment qui s’en dégage est celui d’un travail partiel et partial. Se limiter à une seule langue pour une anthologie de la littérature algérienne, n’est pas forcément une bonne chose lorsqu’on a la possibilité d’explorer le domaine littéraire en ouvrant le champ linguistique sur d’autres sphères linguistiques faisant partie du même champs littéraire. Elaborer une anthologie, c’est-à-dire rassembler des textes et les traduire s’il le faut, n’est pas une entreprise superflue, mais un besoin, d’autant plus nécessaire qu’elle permet l’accomplissement d’un devoir de mémoire, puisque aujourd’hui, un grand pan de notre littérature est en train de disparaître de façon probablement définitive. Cette tâche représente un effort en direction de la traduction vu qu’il n’existe pas en Algérie de réelle stratégie de traduction pour permettre à cette littérature de reconquérir la place qui lui revient de droit. En tant que littérature riche d’idées et d’émotions profondément humaines portées par une langue souple capable de dire l’amour, le politique, mais aussi la liberté. La littérature algérienne de langue arabe, par exemple, elle, manque de visibilité. C’est une présence au milieu de l’absence d’intérêt qu’on lui témoigne. Quelques textes sont traduits en italien, d’autres en allemand, en anglais et en espagnol. Quant aux traductions vers la langue française, elles restent les moins nombreuses, alors même que le besoin s’en fait cruellement sentir. De ce point de vue, l’anthologie offre un avant-goût de cet effort, dont le manque allait aiguillonnant les convictions de l’homme de lettres qui ne désarme pas. Il vous suffirait d’interroger les écrivains algériens d’expression française sur le nombre d’ouvrages en langue arabe qu’ils ont lus pour vous rendre compte que, s’ils connaissent fort bien le nom des auteurs dont quelques-uns font partie de leur cercle d’amis, ils n’ont, en revanche, jamais ou presque fourni l’effort de les lire. Combien sont-ils les écrivains d’expression française à avoir eu l’aimable réflexe de présenter ou même de traduire un roman en langue française d’un écrivain arabophone, comme a fait par exemple l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun pour son compatriote Mohammed Choukri ? Or, je reste persuadé que, sans ce geste généreux de la part de Tahar Ben Jelloun, Mohammed Choukri, malgré son talent, resterait confiné dans sa ville de Tanger. Et pourtant, en Algérie, les écrivains d’expression arabe ont adopté à l’égard de leurs homologues d’expression française l’attitude inverse, et des écrivains comme Boudjedra, Dib, Tahar Djaout, Mimouni, Malika Mokadem... ont été traduits par des écrivains algériens d’expression arabe confrontés aux difficultés d’une vie périlleuse, comme, par exemple, Djilali Khallas, Merzac Bagtache, Mohammed Yahyaten, Mohammed Sari, Ahmed Mennour, etc. Une autre fois, une anthologie de la littérature algérienne d’expression arabe (traduite en français) s’impose. Elle a pour ambition d’éveiller la curiosité du simple lecteur, mais également celle du professionnel du livre afin que cette littérature soit connue, lue et, pourquoi pas, traduite si elle parvient à inciter les bonnes volontés à le faire. Et si cette dernière entreprise devait être limitée, qu’elle permette au moins d’offrir en traduction les textes les plus représentatifs de cette littérature novatrice qui s’est réalisée tout au long d’un siècle. L’organisation de cette anthologie devra s’articuler autour des éléments liés à des moments historiques qui mettent en lumière et en relief le paysage sociopolitique et l’émergence des écoles littéraires et des mouvements esthétiques qu’ils ont suscités et dont on peut observer l’évolution au fil des étapes avec, au cours de ces dernières décennies, la naissance d’un souffle nouveau, plus représentatif et très productif. Du coup, offrir au lecteur algérien ou étranger une matière littéraire saisie dans sa continuité et son évolution. L’essentiel dans une pareille anthologie est bien de capter les premières vibrations de cette littérature, qui sans ces textes et sans le courage dont leurs auteurs ont fait preuve en affrontant des genres tout à fait nouveaux, comme le roman et la nouvelle, serait privée de la substance qui a fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui dans les pratiques littéraires des différentes générations.

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